Retour d'expérience sur l'enseignement à distance d'un enseignant de l'école

En S6,  Jean-Michel donne le cours et les TD de 1re année en Physique Quantique et Statistique, des cours à Pékin de Physique des Solides et encadre en projet (sujet générique : cristallographie quantique) un élève en parcours recherche, 2 élèves de 2A et 3 élèves de 1A pôle recherche.

Il a basculé l’ensemble de ses cours à distance.

 

Comment s’est passée la bascule de tes cours ?

La bascule a été facile pour les projets, puisqu’on le faisait déjà épisodiquement, compliquée pour le cours/TD de 1A et encore plus compliquée pour le cours de Pékin.

 

Quelles difficultés as-tu rencontrées ?

La première semaine était épuisante et le plus difficile a été de trouver un rythme de croisière une fois la période de mise en place passée. J’ai du apprendre le montage vidéo, vérifier toutes les séquences, commencer à échanger avec les enseignants qui avaient des craintes (souvent infondées) sur leur capacité à enseigner à distance et faire un TD correct.

J’ai passé pas mal de temps aussi à me renseigner sur les plan B possibles si la vidéo ne marchait pas, si ma tablette dysfonctionnait, si je tombais malade. Heureusement que la DISI assurait.

J’ai également prévu 1h30 « d’office hours » par jour, soit à midi, soit à 17h, pour que chaque élève, notamment en fonction de son fuseau horaire ou de son emploi du temps, puisse y avoir accès. Malheureusement trop peu d’élèves utilisent ces office hours.

 

Quel matériel utilises-tu (tablette, TBI, autres) ?

Pour le cours de 1A en promo complète, nous avons pu récupérer les captations d’amphi de l’année dernière. J’ai repris en urgence tous ces films (en format brut mp4). Je les ai édités et découpés de manière thématique pour en faire à chaque fois un ensemble de séquences d’une dizaine de minutes chacune. Ces séquences cumulées, un cours prend au total ainsi environ 1h20 mn à être visionné. Notons que sur une semaine de diffusion guère plus de 450 élèves visionnent le cours (sur les quelques 900 potentiels concernés).

Pour les Office Hours (les horaires et prises de rdv sur Edunao), j’utilise depuis longtemps mon bureau virtuel Whereby (successeur de appear.in) qui ne nécessite pas d’utiliser Teams. C’est plus facile car il y a seulement besoin du navigateur web. Je couple ceci avec le partage de mon tableau blanc Groupboard. Détail technique : j’ai l’appli gratuite Groupboard (plus 83 cts investis pour étendre à l’infini l’espace d’écriture) sur ma tablette. Je suis en duplication de ce que j’écris sur cette tablette par le web sur une page que j’affiche sur le navigateur de mon second écran de bureau. Finalement, en fonction des besoins, je partage cet écran avec mes participants. J’envoie à la fin du TD une copie de tous les tableaux blancs que j’ai sauvegardés au fur et à mesure dans un document word récapitulatif.

Pour les projets ou les TD, j’utilise Teams + toujours Groupboard. A la suite du TD je poste sur Edunao la copie de mes tableaux en plus de la correction officielle assez détaillée du TD. Les enseignants de TD (4 parmi la quinzaine) qui l’ont désiré ont leur espace dédié sur la page Edunao du cours. Ils y postent leur propre version du corrigé.  Pour les TD de 1A, toujours sur Teams, j’ai fini par adapter le sujet de TD pour mon groupe en un formulaire sur Forms. Seulement une quinzaine d’élèves sur les 60, ont réussi à l’utiliser correctement dans le temps imparti. J’aurais dû leur adresser bien avant le TD et qu’ils commencent à y travailler. C’est ce qu’ils m’ont dit. J’apprends en avançant. Ils ont apprécié ce mode mais se sont plaints du peu de temps qu’ils avaient pour vraiment faire les exercices prévus dans les 90 min imparties. Je pense donc réécrire complètement les TD à venir pour les adapter au mode pédagogique à distance qui est encore plus chronophage.

Pour le cours de physique des solides à Pékin, le virus ayant impacté la Chine bien avant nous, j’ai très tôt senti venir le problème et ai investi en urgence le mini-studio dans le bâtiment Breguet avec l’aide très efficace de la DISI. J’ai alors enregistré tous mes cours, les ai découpés et chapitrés. Mon collègue, prof dans le cycle prépa de Pékin a accepté de palier à la désaffection de dernier moment d’un collègue spécialiste de la discipline en local, et a conduit un travail admirable d’enregistrement avec les moyens du bord des séquences de TD sur un (vrai) tableau, l’image enregistrée par sa tablette et le son par son téléphone. Il remonte ensuite tout ça en un film diffusé en asynchrone.

 

As-tu reçu le support nécessaire, tant technique que pédagogique ?

Tous mes besoins immédiats ont été gérés de manière très dynamique par la DISI et le Pôle Pédagogie. Je veux souligner leur travail admirable et leur désir de rendre nos contraintes plus légères. Ils sont nos vrais soldats du feu.

 

Qu'est-ce que ça change dans ton rapport aux élèves ?

Les élèves sont souvent très reconnaissants de l’investissement de l’équipe. Le but pédagogique poursuivi par la disponibilité des vidéos du cours sur un temps limité a globalement été bien compris. J’ai reçu beaucoup de messages de la part d’élèves qui mesurent les efforts déployés par toute l’école et notre acharnement à maintenir une formation d’excellence.

Pourtant, des élèves continuent de m’envoyer des questions par mails. Je leur indique de prendre rdv pour que l’on ait un entretien plus personnalisé (et plus facile pour moi) sur les Office Hours. Toutefois, ils ne semblent pas comprendre cela et plusieurs ont alors renoncé.

Mes consultations des signes de connexion au site du cours sur Edunao ont montré qu’au bout de 2 semaines de confinement une quarantaine d’élèves ne s’y étaient jamais connectés. Je les ai tous contactés individuellement pour en connaître les raisons. Certains ont eu des soucis de connexion, d’informatique par suite de leur rapatriement (la plupart à l’étranger). Les autres m’ont dit qu’ils préféraient se débrouiller seuls avec les documents dont ils disposent sans aller les chercher sur Edunao. Enfin, certains m’ont dit qu’ils avaient d’autres matières urgentes à étudier et que la physique viendrait en son temps.

J’ai noté également un grand manque de réaction synchrone de leur part, notamment pendant les TD. Sur mon groupe connecté, ce sont toujours les 4 ou 5 mêmes qui réagissent à mes demandes de signe de vie.

On est aussi plus proches des élèves d’une certaine manière. Ils voient bien que l’on est nous aussi en phase d’apprentissage et peut-être sur un terrain qui est plus dans leur zone de confort que de la nôtre en ce qui concerne les modes de communication. Ils sont alors très compréhensifs et ne se gênent pas pour nous conseiller, nous proposer des méthodes alternatives ou nous dire que tel collègue fait de telle manière lorsqu’il a tel problème.

 

 As-tu des conseils ?

L’urgence a voulu que chaque membre de l’équipe du cours commun de 1A adopte le mode pédagogique avec lequel il se sentait le mieux à l’aise et avec le matériel dont il disposait. Les enseignants ont adapté leur mode de transmission aux groupes de niveau et à la langue d’enseignement. Certains scannent leurs notes manuscrites et les commentent en direct, certains font des sortes de classes inversées, mais les questions si elles sont pertinentes sont aussi assez rares. D’autres se filment au tableau chez eux. L’un d’entre eux propose d’adapter ses créneaux horaires pour les élèves retournés en Amérique du Sud. Ce dont je suis certain, c’est que chaque membre de l’équipe (la moitié environ sont des vacataires) est totalement investi pour fournir ce qu’il peut donner de mieux avec ce qu’il a. Les élèves le voient et en témoignent.

 

Comment envisages-tu la suite ? Quels impacts le confinement pourrait-il avoir sur ton enseignement ?

Mon but est d’être en contact direct. Je déteste l’anonymat que permet le mode d’enseignement en grands effectifs derrière un écran. Je vois bien que les réflexes de passagers clandestins sont amplifiés par cela et il me tarde que cela cesse. Pour moi l’enseignement se fait à deux (au minimum). Depuis presque dix ans que j’enseigne à Centrale Pékin j’ai pris des habitudes pour rompre le mur qui s’établit naturellement et culturellement en présentiel. En interpellant un élève que je ne sens pas présent, en me déplaçant et allant au contact, en regardant et commentant ce qu’il se passe sur sa feuille, en débloquant celui qui parait hésiter, voire en provoquant un peu (pas trop quand même). C’est une pratique que j’ai aussi avec notre public de CS. Mais là, le mutisme est assez général et il est épuisant de tenter de capter l’attention sans voir les regards, de courir après le temps, de vérifier que le micro et la caméra sont ok, que ce que l’on écrit au tableau est lisible, de guetter et espérer les éventuelles questions des timides qui ne se manifestent que sur le chat. Alors, la moindre prise de parole d’un élève, qui témoigne qu’il existe de la vie derrière mon écran, est une source de bonheur proportionnel au soulagement de savoir que ce que l’on a dit a été reçu par quelqu’un. Jeter dans un puits sans fond des pierres que j’ai polies pendant des heures est une pratique qu’il me tarde d’abandonner. Je goutterai alors surement encore plus les moments d’échanges en face d’êtres de chairs et d’os. J’ai une tendresse pour les flux d’électrons mais j’envisage avec bonheur leur remplacement par des photons en provenance directe des visages, mêmes accablés, de nos élèves.